Pendant le mois d'octobre Réseau Alpha est allé à la rencontre de l'association Élan Interculturel, structure membre de son réseau. Nous avons échangé avec Manon Crozet, coordinatrice de projets et responsable des
formations, avant un atelier d’expérimentation d’outils développés dans
le cadre
du projet européen Alternative Ways.
Ce projet vient d'aboutir et a rassemblé cinq organisations européennes (Elan Interculturel, les allemands Arbeit und leben, les flamands GO! onderwijs van de Vlaamse Gemeenschap, les néérlandais De Talentenschool et Storytelling centre ) pendant trois ans autour du développement d'outils de pédagogies non-formelles pour l'apprentissage linguistique.
Au cours de notre conversation Manon nous a parlé du travail de l'association et de ce que la posture interculturelle permet dans le champ social. Elle nous a aussi expliqué les différentes phases du projet et des expérimentations des outils Alternative Ways qu'elle approche d'un point de vue théorique mais aussi pratique, puisqu'elle est également bénévole pour l'association Français Langue d'Accueil (FLA) depuis plusieurs années.
Nous avons ensuite eu l'opportunité de participer à l'atelier organisé ce soir-là à destination d'enseignant-e-s de FLE, dans le but de partager des outils de pédagogies sensorielles et de récolter les commentaires des participant-e-s. L'atelier était encadrée par Manon, Théo et Marie-Anh qui ont pu fournir
des explications complètes et des réponses aux interrogations des
participant-e-s. Pendant deux heures nous avons donc bougé, chanté, crié, touché, senti, et ce toujours dans le but de parler de nous et d'échanger souvenirs et anecdotes sur la base de notre ressenti sensoriel.
Pouvez-vous présenter Élan Interculturel et ses actions ?
Élan Interculturel a été créé en 2008 par 5 femmes migrantes. Elles avaient toutes eu une expérience de la migration et d’adaptation en France et s’interrogeaient sur les dynamiques interculturelles et le dialogue entre les cultures. Élan Interculturel est donc aujourd’hui un organisme de formation et de recherche.
Un organisme de recherche car on mène des projets de recherche pratique souvent dans le cadre de projets européens, dont la problématique porte sur l’intersection entre l’interculturel et un autre sujet, par exemple : l’intimité, l’apprentissage des langues, la santé, l’écologie, la parentalité. Ces projets dits « de recherche » comprennent une première phase de lecture et de mise au point sur tout ce qui a déjà été écrit sur le sujet, puis une deuxième phase de création d’outils qui peuvent prendre la forme d’ateliers que les accompagnateur-rice-s sociaux-ales peuvent mettre en place auprès de leur public.
Un organisme de formation dans le sens où l’on travaille avec les personnes qui sont en situation interculturelle dans leur activité professionnelle comme les professionnel-le-s du travail social et les bénévoles qui ont besoin d’outils pour gérer la diversité, approcher l’altérité et développer ce qu’on appelle des « compétences interculturelles ». Nos formations visent à former notre public à mieux comprendre ce qu’est la culture, les discriminations, les préjugés ainsi qu’à donner des clefs pour déconstruire ces préjugés dans le but d’adopter une approche la plus neutre possible. On organise des formations ouvertes mais aussi des formations privées pour lesquelles des structures peuvent nous demander de former une équipe sur un point précis. Ce volet formation a été créé à la suite de plusieurs projets de recherche sur la question du travail social et des enjeux de l’accompagnement, c’est une façon de pérenniser notre action sur ces questions.
Dans ce projet Alternative Ways on a travaillé sur les pédagogies non-formelles, mais ces activités sont notre base de travail. On travaille principalement avec des activités qui impliquent le corps avec du théâtre, du conte, des travaux manuels, un peu de théorie aussi car c’est toujours intéressant. Je dirais que c’est une des valeurs fondatrices de l’association : on n’est pas simplement assis-e-s en formation mais on s’implique dans un atelier, on bouge, on parle, on est présent-e-s avec notre corps et on l’utilise, on implique nos émotions.
Les participants à l'atelier sur les pédagogies sensorielles lors d'une activité portant sur la construction d'un objet et d'un récit
En quoi consiste le programme Alternative Ways ? Comment avez-vous travaillé et quels outils avez-vous développé ?
Alternative Ways, c’est un projet européen qui vise à compiler des outils de pédagogies non-formelles d’apprentissage de la langue. Le coordinateur du projet c’est l’organisation néerlandaise Storytelling centre, avec qui Élan Interculturel avait déjà travaillé auparavant sur des projets liés au storytelling et à l’apprentissage des langues. Peu d'entre nous avait une expérience d'enseignement des langues mais nous travaillons tous en contact avec des acteur-rice-s de l’apprentissage linguistique. Par contre on avait chacun nos champs d’expertise ce qui nous a permis d’échanger et de nous former les un-e-s les autres. Au sein d’Élan Interculturel nous sommes trois à être impliqué-e-s sur le projet depuis le début : Théo, Cécile et moi.
Le projet a démarré par une première phase de lecture, il en est ressorti un document récapitulatif de nos apprentissages sur les neurosciences appliquées à l’apprentissage des langues. Ce document, le Foundation bricks, aborde des notions développées par les neurosciences de l’éducation, le concept de pédagogie non-formelle, de quoi il s’agit lorsqu’on parle d’apprentissage relationnel, d’apprentissage en contexte, d’apprentissage avec l’art, de ce qu’un adulte apprend quand il apprend une langue, etc.
Ensuite on a construit des outils pour l’apprentissage, à partir de zéro ou en s’inspirant de choses qui existaient déjà. Pour cette deuxième partie du projet, nous avons fait un partenariat avec Français Langue d’Accueil (FLA) et le Centre Alpha Choisy du 13ème. Certain-e-s de leurs formateur-rice-s ont testé les activités en cours et nous ont fait des retours qui nous ont permis d’améliorer les activités que l’on proposait. On a aussi fait plusieurs formations en présentiel et en ligne à destination des profs de FLE ou d’alpha partenaires pour transmettre les outils et l’approche.
Aujourd’hui, chaque outil est disponible en accès libre dans
une boite à outils sur le site internet du projet. Les outils sont répartis en plusieurs
catégories : les activités de teambuilding, celles qui impliquent l’art et
la culture, d’autres qui impliquent les médias, les activités où l’on utilise
le corps et les sens, des activités contextuelles avec des sorties de groupe,
et, des activités basées sur les méthodes du storytelling. Pour chaque outil, la fiche est composée d’un
résumé, et de points clefs : objectifs, préparation de l’exercice, des
instructions pour l’animation et des conseils. Ensuite, le but c’est que des
profs les utilisent ou s’en inspirent pour mettre en place ce genre
d’activités.
De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de pédagogies
non-formelles ? Quel intérêt dans
le cadre de l’apprentissage linguistique ?
En fait, le but de ces outils est de permettre à l’apprentissage
durable d’avoir lieu. On fait souvent face à des apprenant-e-s qui affrontent
ou qui ont affronté des difficultés importantes en raison de leur parcours ou de leur histoire, de difficultés liées à l’accès aux logement, aux démarches administratives, à des problèmes de santé, de deuils, de la culpabilité, au stress d’acculturation et à bien d'autres aspects. Les personnes peuvent donc faire face à un stress chronique, ce qui peut engendrer une « clôture
cognitive ». Dans cette situation, les capacités d’attention et de concentration, la motivation et l’utilisation de la mémoire à long terme baissent, ce qui rend l'apprentissage difficile.
On sait grâce aux neurosciences de l’éducation qu’une information est mieux transmise jusqu’à la mémoire de long terme lorsqu’elle est reliée à des émotions ou à des connaissances que la personne a déjà. Notre postulat est donc que : déployer des méthodes d’apprentissage qui stimulent le corps, les émotions et l’histoire de chacun-e permet finalement d’atteindre une connaissance plus concrète qu’avec des méthodes formelles exclusivement.
On s’est concentré sur des pédagogies non-formelles pour ce projet car on pense que ce sont des méthodes plus douces et plus flexibles pour apprendre une langue. Cependant le projet ne vise pas à donner des outils pour apprendre une langue. L’objectif du projet Alternative Ways est justement de créer et de recenser une série d’outils permettant d’ouvrir l’espace cognitif des apprenant-e-s en cultivant la bonne ambiance, l’aisance dans le groupe et en stimulant le corps et des parties du cerveau qui ne sont pas habituellement stimulées.
Les activités Alternative Ways sont basées sur 5 principes fondamentaux. D'abord celui de baisser le niveau de stress en classe en jouant riant et bougeant un maximum. Ensuite, en travaillant autour d'émotions positives car dans le cerveau le centre de gestion des émotions travaille étroitement avec le centre de stockage de la mémoire de long terme. Troisièmement, en donnant du sens à l'information car l'information est mieux enregistrée lorsqu'elle est perçue comme un système cohérent on préférera donc une histoire contenant des éléments de vocabulaire plutôt qu'une liste de vocabulaire brute. Un autre principe de base est également d'associer les nouvelles informations à des connaissances pré-existantes en mettant en valeur les savoirs actuels des apprenant-e-s et travailler avec leurs souvenirs. Enfin, il est bon de diversifier les manières d'apprendre : traiter le même sujet par l’écoute, la parole mais aussi les gestes, le sport, le dessin, l’art, la musique, le théâtre, etc.
Dans un atelier d’expérimentation sur les pédagogies sensorielles comme celui d’aujourd’hui, les invité-e-s sont des profs de FLE, car de nouveau il s’agit pour nous d’avoir le plus d’impact possible en partageant un petit nombre d’outils et qu’ils les réutilisent ensuite dans leurs ateliers.
Un atelier d'expérimentation des outils Alternative Ways
Comment mettre en pratique cette pédagogie ? Quelles difficultés sont à prendre en compte ?
Il ne s’agit pas de méthodes complètes à appliquer telles quelles. C’est toujours à l’enseignant-e de l’adapter en fonction de son public et de son aisance. Nous avons d’ailleurs à chaque fois recensé un certain nombre de conseils pour la mise en place de ces ateliers.
Déjà, mettre en place ces outils demande certaines
conditions matérielles comme avoir assez de place pour pouvoir disposer les
apprenant-e-s en cercle dans la salle par exemple. C’est très concret, mais en
France cette difficulté a été particulièrement soulevée lors des
expérimentations, a fortiori à Paris.
Ensuite, les outils sont à destination des profs et des animateur-rice-s
d’ateliers linguistiques débutant-e-s ou expérimenté-e-s, tout dépend de
l’aisance de la personne. Pour l’avoir expérimenté par moi-même il faut être
téméraire pour commencer à utiliser des activités non-formelles tout simplement
parce qu’il faut d’abord dépasser les représentations sur l’apprentissage qui
peuvent être présentes du côté de l’enseignant-e et du côté de l’apprenant-e. Ça
demande quelques cours pour que les apprenant-e-s voient l’intérêt de ces
activités-là.
Le conseil que je donnerais aux profs qui voudraient intégrer ce type d’activités est de se former entre pairs, de se montrer ce qu’on fait lors d’ateliers d’expérimentation comme celui d’aujourd’hui, de ne pas avoir peur de l’échec et de se lancer car c’est avec la pratique que l’on réussit à sentir à quel moment les personnes sont disponibles ou non pour telle ou telle activité.
Ensuite, je sais que souvent les formateur-rice-s ont des
réticences à utiliser ces outils avec les débutant-e-s. Par exemple, je pense que c’est
important de faire des activités sensorielles et liées aux médias car ce sont
des activités où on apprend à parler de soi, à se présenter avec d’autres
outils que des phrases basiques. Parler de soi en faisant un mini-récit et en
montrant une ou deux photos de son téléphone c’est déjà très impactant pour des
personnes à qui on ne demande jamais leur avis et à qui on ne demande jamais de
parler d’eux. Donc toutes les activités sont déclinables à un niveau très
débutant, il ne faut pas être trop ambitieux sur les résultats immédiatement
quantifiables. Si on encourage les apprenant-e-s et qu’on leur fait sentir
qu’il y a de l’espace pour qu’ils-elles s’expriment et qu’ils-elles essaient
c’est déjà un résultat. Il existe aussi des activités multilingues qui
permettent d’utiliser la langue d’origine de la personne et donc de valoriser
l’apprenant-e et ses connaissances actuelles.
Inversement, des apprenant-e-s à un niveau plus avancé peuvent trouver les
activités trop faciles, trop enfantines et là la clef c’est encore d’expliquer
concrètement à quoi cette activité va servir, quitte à sortir un schéma du
cerveau et de montrer à quoi correspondent les différentes zones et d’expliquer que la
stimulation de certaines zones entre en compte pour un meilleur apprentissage.
C’est toujours au prof de s’adapter à l’apprenant-e car les
apprenant-e-s sont souvent curieu-x-ses et après un premier blocage ils-elles
peuvent très vite prendre goût à ce genre de pédagogie. Ils-elles en
comprennent très bien l’intérêt.
Les actualités de l’association Élan Interculturel
Autour de la linguistique :
Une
formation GRATUITE à destination des formateur.rice.s FLE/alpha aura
lieu dans le courant du mois de mars 2021. Sur 2 jours, la formation "Faciliter l'apprentissage du FLE à travers la pédagogie multisensorielle" a
pour objectifs d'aborder les bases de l'interculturel (jour 1) et de
transmettre des outils de pédagogie multisensorielle pour
l'apprentissage du FLE (jour 2). Dates à venir, pour tout renseignement,
écrire à
prismes@elaninterculturel.com.
Le projet « Taste of Fusion Learning » est en démarrage : il s'agit d'un projet qui veut favoriser l’apprentissage de la langue à travers les héritages de recettes de cuisine que nous portons et à l’aide de la pédagogie multi-sensorielle.
Formations interculturelles pour professionnel-le-s du travail social et bénévoles : "Comment
mieux appréhender les chocs culturels et gérer le stress
d'acculturation ? Comment favoriser la résilience dans les
accompagnements ? "
Notre formation GRATUITE de 2 jours « Développer un accompagnement interculturel résilient »
qui aura lieu en Avril 2021 va nous permettre d'acquérir des outils
pour mieux gérer le stress d'acculturation, favoriser la résilience des
primo-arrivant.e.s et des professionnel.le.s ainsi qu'éviter
l'épuisement professionnel.
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