BILLET D'ACTUALITÉ

Rencontre avec l’association Entraide à tous, Petits et Grands

Le mois dernier Réseau Alpha est allé à la rencontre d’un nouveau membre de son réseau : l’association Entraide à tous, Petits et Grands, à Noisy-le-sec. Nous avons rencontré Cédric Busenhard, président de l’association à l’occasion de la projection de cinq courts métrages réalisés par les participantes d’un atelier d’apprentissage du français. Cédric Busenhard a commencé en tant qu’animateur de l’aide aux devoirs au sein d’Entraide. Depuis, il n’a plus quitté l’association et continue de s’y investir bénévolement en tant que président tout en travaillant à la Direction du Fret à la Sncf.

En 2020, l’association Entraide à tous, Petits et Grands fêtera ses 25 ans d’actions sur le territoire de Noisy-le-Sec. 25 ans, ça se fête : “ Oui, j’y pense tous les matins, mais chaque chose en son temps. D’autant que les 25 ans, on peut encore les fêter pendant les 25 prochaines années”, nous confie Cédric Busenhard.  Au cours de ces 25 années, les actions de l’association ont évoluées en fonction des besoins des habitants : “A l’époque, l’ association a été créé par des cheminots. Noisy-le-Sec avait une grosse communauté cheminote et le souhait était d’accueillir les enfants des parents qui faisaient les 3x8 pour les aider à faire leurs devoirs. Avec le temps, on a eu de plus en plus de demandes d’enfants de parents qui n’étaient pas cheminots. Le public de l’association a changé avec le temps”.

L’ouverture des ateliers de français aux parents est partie du besoin des familles des enfants qui participaient à l’aide aux devoirs et des demandes des écoles de créer plus de liens avec les parents. L’objectif était d’accompagner les parents à atteindre un niveau de langue qui leur permettrait de mieux comprendre la scolarité et l’orientation de leurs enfants. "Ce constat était partagé par les enseignants du quartier qui ont voulu nous aider et nous recommander les parents qu’ils avaient du mal à faire venir en réunion, à la remise des livrets, etc. On a mis un temps certain pour concrétiser ça. Au final, grâce à un réseau de quartier, des enseignants qui comptaient sur nous, moi avec un peu de financements et une professeure de français avec une idée très précise de comment on voulait faire les cours”, les premiers ateliers de français ont pu commencer en février 2015.

Favoriser l’accès à des lieux culturels pour rentrer dans l’apprentissage du français.

"Notre offre de cours de français était de lier cet apprentissage à l’ouverture sur la culture française en facilitant l’accès à des lieux culturels, généralement peu fréquentés par les adultes en démarche d’apprentissage du français, car peu accessibles à cause, entre autres, des niveaux de langue. On avait des partenaires privilégiés et bien identifiés sur le territoire comme lethéâtre des Bergeries, le cinéma Le Trianon ou le musée d’art Contemporain la Galerie. L’ambition que l’on porte avec Mme Carine Kerne (formatrice de français à Entraide), c’est que ce public puisse accéder au théâtre et au cinéma pour entrer dans l’apprentissage du français et ainsi contribuer à leur maîtrise du français. Ce qui ne nous interdit pas et c’est ce que l’on a développé par la suite, de toucher un public qui veut rentrer dans le français pour gagner en employabilité et s’engager dans un contrat d’intégration républicain”.

“Notre premier partenaire a été le théâtre des Bergeries, qui comme la Galerie et le cinéma le Trianon, a la volonté affichée de faire venir au théâtre un public éloigné de la culture. Ils ont les projets et nous, on a le public. Sur notre première saison avec le théâtre des Bergeries on a mis la barre assez haute, puisque la restitution du projet s’est basée sur la biographie de Romain Gary. Alors déjà l’œuvre de Romain Gary est assez exigeante, et en plus c’était sa biographie ! Finalement, tout c’est bien passé”.

La nécessité de travailler sur un temps long pour bien accompagner les personnes dans l’apprentissage.

Cédric Busenhard nous explique qu’ “il faut compter à peu près 3 ans pour que les personnes, qui n’ont pas l’habitude d’aller au théâtre se l’approprient et y aillent d’elles-mêmes. La première année, les personnes découvrent le théâtre, la deuxième année, on consolide cette découverte avec une restitution et la troisième année, elles vont au théâtre seules. La difficulté que nous rencontrons par rapport à ce temps long, c’est de faire comprendre aux financeurs qu’il faut au moins ces trois ans pour débloquer de telles pratiques personnelles”.

L’association essaie de permettre à tous ses groupes de s’inscrire dans un projet culturel. Comme ils ont une petite équipe, ils mettent en place une sorte de roulement :
“Une fois que le partenariat avec le théâtre des Bergeries était solide, ça nous a permis de développer un autre projet avec la Galerie, qui est un musée d’art contemporain. En général, on lance un projet avec un groupe, puis la deuxième année si tout fonctionne, on choisit de lancer un autre groupe sur un autre projet pour qu’il y ait un roulement”.

Le courage et l’implication des participantes. 

Actuellement, il existe deux ateliers pour apprendre le français au sein de l’association. Un groupe concerne les personnes qui débutent avec la langue française et un autre est consacré aux personnes plus avancées. Lors de notre rencontre avec Cédric Busenhard, une partie des participantes des deux groupes présentaient le projet dans lequel elles s’étaient investies cette année avec le cinéma Le Trianon, à savoir une série de courts métrages. A l’occasion de ce projet, les personnes apprenantes ont écrit des petites saynètes, elles ont appris à les jouer et à tenir une caméra. Chaque saynète est inspirée des expériences de vie de tous les jours. Cédric Busenhard, commente ainsi la prestation des participantes : “ Je sais l’effort qu’elles ont fait pour déclamer quelques phrases en français. Il y a eu du travail pour en arriver là. Le courage qu’elles ont de venir dans un cinéma, devant un public, dire en français, qu’elles maîtrisent mal, ce qu’elles ont fait... Je ne suis pas sûre que moi dans leur position, dans un pays étranger, je sois capable de le faire. On est là pour les aider, mais elles ont du courage. En plus, elles ont une charge mentale, qui est importante à l’extérieur. C’est d’ailleurs là aussi où nous jonglons en permanence, car il y a toujours un problème de garde d’enfants, d’un conjoint qui rentre tard du travail. Un jour il faudrait que l’on puisse travailler avec une structure pour accueillir les enfants pendant les cours de français. Quand je parle de créer un centre social, on sait que si on le fait, il faudra une halte-garderie pour les enfants”.

Les meilleurs ambassadeurs pour sensibiliser les structures culturelles à l’accessibilité sont les participants des ateliers.

Les participants des ateliers de français sont les meilleurs atous pour sensibiliser le milieu culturel et faire bouger les lignes afin que l’accès à la culture soit plus facile.
Cédric Busenhard prend l’exemple d’un projet qui a été mené avec le musée d’art contemporain La Galerie à Noisy-le-Sec : “ 8 adultes ont participé à toutes les étapes du projet : conception des outils de communication, installation des travaux dans les espaces d'exposition et se sont chargés de la médiation. Là aussi la barre était assez haute. Les participantes ont été impliquées de A à Z grâce à la formatrice et aux équipes du musée. Ce qui a été beau dans ce projet, c’est que le projet a permis à la Galerie de se questionner sur ses pratiques de médiation, pour co-construire des outils et des postures d'échange et d'accueil : tisanes, gestes, mots, rites (comme les guirlandes de citron et piments de tradition tamoule accrochées aux portes du centre d'art). Pour les équipes de la Galerie, ça a été aussi un sacré challenge de rendre cette exposition accessible à des gens qui ne maîtrisaient pas le français et qui n’ont pas l’habitude d’aller au musée. Le travail c’est super bien passé, mais un projet comme ça, ce fait sur 6 mois, tous les mercredis jusqu’au jour de la restitution”.

De la nécessité de créer un lien de confiance avec les participants.

L’association réalise quatre ateliers par semaine pour apprendre le français. Parfois, le vendredi après-midi, les personnes se réunissent à nouveau lorsqu’il faut fournir un travail supplémentaire sur les projets culturels. Depuis l’an passé, un des moments de l’année est dédié à la compréhension du système de santé. Les groupes vont donc visiter le centre médico-social de Noisy-le-Sec. Prochainement, cette logique sera déclinée au niveau de l’emploi en organisant des rencontres avec la Maison de l’emploi. L’insertion en emploi est une demande qui vient des participantes. Les enfants grandissent et vont à l’école, elles peuvent donc plus facilement travailler. Ces ateliers santé et emploi sont réalisables après plusieurs mois d’ateliers, après avoir construit un lien de confiance avec les élèves Une nouvelle fois, Cédric Busenhard, souligne l’importance de s’appuyer sur des partenariats divers : “On les met en lien avec des personnes ressources, car ce n’est pas notre métier le suivi de la santé ou l’insertion en emploi”.

Travailler avec les personnes en respectant leurs besoins.

Entraide à Tous a fait le choix de limiter les inscriptions en cours d’année afin de garantir une progression à l’ensemble des membres du groupe.” Carine Kerne s’astreint à un programme afin de répondre aux premiers besoins des participants, à savoir apprendre à s’exprimer et à écrire en français. Si on ne respecte pas ces besoins, les personnes ne resteront pas avec nous. En plus, ce suivi permet de susciter de la motivation pour participer aux projets culturels. On essaie de ne pas trop surcharger les personnes pour ne pas les épuiser, mais on a conscience que, parfois, nous les bousculons un peu”.

Les ateliers fonctionnent sur la pleine participation des élèves. Ainsi, dans chaque projet, elles ont la responsabilité d’agir, comme par exemple sur le projet des courts-métrages : “Se sont les participantes qui ont écrit les textes des courts-métrages dans le cadre des mises en situation dans les cours de français. Le court-métrage sur l’utilisation de l’interphone, est inspiré d’une expérience vécue en atelier. Carine Kerne s’est aperçue que les personnes avaient du mal à se présenter via un interphone lorsque par exemple, elles vont chercher leurs enfants à l’école. Ce sont des expériences réelles qu’elles ont vécues. La réalisatrice et Carine Kerne ont mis en confiance et en condition les personnes pour qu’elles puissent rendre compte de leurs expériences en français".

Des impacts qui vont au-delà des ateliers de français.

L’impact de l’investissement des personnes dans les projets culturels reste difficilement mesurable, car il s’agit d’abord et avant tout d’un impact qualitatif. Cédric Busenhard décrit cet impact de multiples façons. A la fois par le fait que les personnes reviennent dans les ateliers en étant motivées et en voulant s’investir dans d’autres projets et aussi par le fait que les personnes vont désormais par elles-mêmes voir des spectacles.

En outre, suite au projet avec le cinéma Le Trianon, les participantes – essentiellement Sri-lankaises - ont partagé leur culture du cinéma. “Quand on a commencé avec le Trianon, elles ont révélé à Madame Thaïs de Lorgeril des relations publiques du Trianon l’importance pour elle du cinéma Kollywood - nom donné à l'industrie du cinéma indien, dont les films sont réalisés en tamoul. Thaïs de Lorgeril leur a donc demandé si elles étaient prêtes à venir au cinéma, si elle programmait un film de Kollywood.
Elles lui ont dit “oui” et elles sont venues à 250 ! Je n’ai pas pu monter dans le bus tellement il y avait du monde. Les personnes sont très imprégnées de cette culture kollywood et c’est toujours compliqué pour aller voir ces films, programmés dans des cinés club excentrés. J’ai même vu des ados de 14-15 ans repartir avec l’affiche signée du distributeur des films kollywood en France qui était présent. Depuis cette première, le Trianon diffuse plusieurs Kollywood dans l’année. Il y a donc aussi cet échange, où nous leur faisons découvrir par exemple du Romain Gary et elles nous font découvrir le Kollywood”.

L’impact des projets menés en partenariat avec les structures culturelles peut donc être énorme et dynamise tout un quartier. Les familles des participantes à travers ces projets sont également mobilisées pour participer aux spectacles, restitutions et projections. Ces dynamiques illustrent l’importance des effets de ces partenariats bien ancrés et dépassent le seul cadre de l’atelier de français, de l’association ou des lieux culturels.

Ceci dit, des difficultés persistent pour la pérennisation des projets. Entraide à Tous est malheureusement victime de son succès et doit faire face à de nombreux défis. Avec les ateliers pour apprendre le français, l’association tente de renforcer son action de médiation culturelle. Cette action, constitue aujourd’hui une part importante des projets menés. “ Entraide à Tous est devenue une association importante, ce qui nous pose aujourd’hui des vrais problèmes, parce que on a un plafond de verre à crever. On réfléchit à d’autres développements. Lorsque j’ai fait le budget pour l’année 2020, nous dépassions les 80 000 euros de budget annuel. Donc, premièrement, ça m’a fais prendre conscience qu’avec un tel  budget comme ça, que l’on ne peut plus être qu’une association de quartier. J’ai la volonté affirmée qu’on devienne un vrai centre social avec des permanents et un vrai site. Sinon, on ne pourra pas faire 25 ans de plus dans les conditions dans lesquelles nous travaillons aujourd’hui. Notre local actuel est trop spartiate et ne répond plus à nos exigences. Ça me freine pour tout le reste, pour avoir les permanents, les projets, etc. Puis, évidemment l’autre difficulté majeure, ce sont les finances”. 

Faire les choses petit à petit.

A la fin de la rencontre, nous demandons à Cédric Busenhard les conseils qu’il donnerait à une autre association qui souhaiterait se lancer dans la mise en place de partenariats culturels : “Commencer par prendre contact avec les structures culturelles autour de vous. Je pense qu’il est aussi important d’avoir des formateurs et formatrices qui ont la fibre culturelle comme Carine Kerne. Surtout, il faut être modeste. Faire les choses petit à petit. Au départ, ce n’est pas grave si on a que cinq personnes qui veulent participer au projet. C’est comme ça que l’on construit sur des bases solides”.


Les événements à venir de l’association Entraide à tous, petits et grands.

Les ateliers courants.

Pour visionner les courts-métrages des participantes d’Entraide : https://www.youtube.com/watch?v=P1NKl5rlTes



Début Avril : Lancement d’un nouveau projet sur l’opéra. Cette fois-ci les participant-e-s découvriront ce qu’est l’opéra, s’essaieront au chant et participeront à un spectacle. Avec un nouveau partenaire : l’association Opéra Apéro.

Projet avec le théâtre des Bergeries sur le Chaperon rouge en vue de créer une restitution à destination des familles.

Projet de créer un partenariat avec la MicroFolie de Noisy-le-Sec.

En pièce jointe de cet article retrouvez des photos des projets menés par l'association Entraide à tous.


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