BILLET D'ACTUALITÉ

La pratique théâtrale pour créer un lien sensible et affectif avec la langue française

La Compagnie Gazelle est constituée d’une équipe artistique et pédagogique qui propose des activités culturelles diversifiées en matière de création de spectacles, de pratiques et d’actions en lien avec les arts vivants. Elle défend une vision de l’art vivant tel un art carrefour, fait de rencontres et d’échanges. La compagnie Gazelle anime quatre ateliers avec des apprenants en français en Ile-de-France (à Noisiel, Saint-Ouen et Paris).

Réseau Alpha est allé à la rencontre des trois formatrices de la compagnie à l’occasion d’un spectacle réalisé par les participants de l’atelier théâtre à Noisiel.


Les participants de la Compagnie la Gazelle - Février 2020
Les participant-e-s de l'atelier théâtre de la Compagnie Gazelle à l'occasion de leur spectacle à l'école "Les noyers" à Noisiel


Qui se cache derrière la compagnie Gazelle ? Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je suis Sarah Taradach, comédienne. Suite à ma rencontre avec Gaëlle, j’ai commencé à donner des cours de théâtre, il y a 11 ans avec la compagnie Gazelle. Cette aventure m’a beaucoup plu. J’ai appris sur le tas, puis j’ai souhaité approfondir ma pratique de l’enseignement en réalisant un diplôme d’état d’enseignement du théâtre. A partir de là, la façon dont j’avais envie de donner des cours s’est construite beaucoup plus précisément, tout comme la façon dont j’avais envie d’aider les gens. Ca a changé ma façon d’envisager l’enseignement. Je me suis rendue compte notamment de l’importance d’expliquer pourquoi on demande de faire les choses aux personnes. Il est important en tant que formatrice de ne pas les laisser dans un brouillard épais. Cela me semble plus juste.

Bonjour, je suis Caroline Guth, comédienne de formation. Ca fait 6 ans que je travaille sur « Les tours du monde » avec la Compagnie la gazelle. « Les tours du monde », c’est le nom du projet réalisé avec les personnes qui sont en train d’apprendre le français. (Lien vers le film de présentation du projet : https://www.youtube.com/watch?v=otQ5A_A9nuc)

Bonjour, je suis Gaëlle Audard, comédienne de formation et coordinatrice artistique de la Compagnie La Gazelle depuis sa création en 2000.

Comment est né le projet des ateliers de théâtre avec des apprenants en français ?

Gaëlle : Le projet est né complètement par hasard. On travaillait sur un projet qui s’appelait “ Papiers voyageurs - mon quartier au passé, au présent, au futur ”.

Sarah : On a monté une action dans un collège auprès d’enfants primo-arrivants. On avait lancé notre appel à projet et c’est une professeur dans une classe d’UPE2A (classe d'accueil pour les enfants nouvellement arrivés) qui nous a répondu. 

Gaëlle :  On s’est dit « Tiens, c’est sympa ! Un projet avec 27 élèves, de 26 nationalités différentes de la 6ème à la 3ème ! ». C’était extraordinaire ! C’était une découverte pour tout le monde, que du bonheur. Seulement, un jour on est arrivé, il y avait un gamin et ses parents qui pleuraient dans le bureau de la principale. Le matin, on lui avait annoncé qu’il était en 6ème générale, le soir on lui dit : “ tu ne peux plus revenir au collège ” - décision administrative. Ils avaient relogés ses parents. J’ai dit aux filles : « C’est bien ce que l’on fait avec les gamins, mais ce sont les parents qui ont besoin. Ce n’est pas possible que ce soit le petit qui raconte tout à la principale ». Il devait tout traduire. Il fallait que l’on aide les parents. Il fallait que l’on pense à un truc. Donc, on a élaboré cette proposition artistique de monter des ateliers de théâtre pour les adultes qui apprennent le français. 

Au cours du spectacle, les participants utilisaient à certains moments leurs langues maternelles. Est-ce que travailler avec la langue maternelle des personnes est un soutien à l’apprentissage du français ? 

Gaëlle : Pour moi c’est important. Nous, on est là pour transmettre ce que l’on sait de notre culture : l’histoire, le patrimoine, la langue française et ce qui est génial, c’est que dans ces ateliers, c’est du donnant-donnant. Il y a du partage.

Caroline : C’est important de prendre en compte la culture des personnes et de la reconnaître. Tous les spectacles ne mélangent pas les langues des participants, mais là en l’occurrence le spectacle s’y prêtait bien, car il raconte l’histoire d’une migration et comment il peut y avoir des moments réconfortants dans certaines pauses où l’on peut utiliser sa propre langue. Donc là, dans ce spectacle, on a essayé de profiter de la diversité culturelle que l’on avait sous la main. C’est important qu’ils ne perdent pas leur langue et qu’ils voient que l’on prend en compte leur culture et qu’on la valorise.

Comment se passe le travail avec les adultes ? Comment en viennent-ils à faire du théâtre ?

Sarah et Caroline : On va à leur rencontre au sein des structures qui offrent des cours de français, type Secours Populaire. On leur explique ce que l’on fait. On fait une petite démonstration et on fait des exercices avec eux pour leur donner envie. Le but est qu’ils voient qu’il ne se passe rien de grave et que, surtout, on s’amuse bien. Ils voient que c’est ludique et que c’est une autre façon de travailler.

Gaëlle : Les personnes viennent sur la base du volontariat. Des fois des personnes ne veulent pas, parce qu’elles sont timides. Puis, des fois elles se décident et bien souvent après on ne peut plus les arrêter.

Faites-vous des ateliers FLE (français langue étrangère) en tant que tel ?

Gaëlle : Non, au centre social du Picoulet, il y a le cours scolaire FLE avec une professeur. Nous, on est là pour les grands débutants et les intermédiaires dans le parcours théâtre. On ne fait pas de cours type grammaire, par contre on peut les aider à s’entraîner quand ils doivent passer des examens. Par exemple, avec un groupe, on a été jouer au Ministère et depuis ils ont envie de passer le niveau B1-B2. Donc, on les accompagne pour réviser.

Dans cet objectif de passer un niveau de langue, comment les aidez-vous avec le théâtre ?

Caroline : D’abord, nous nous sommes aidées nous-mêmes en nous renseignant et en essayant de comprendre ce que l’on allait leur demander notamment à l’oral. On essaie de faire des entraînements en les mettant en condition d’examen. On fait des petites improvisations et on essaie de les aider au niveau de leur compréhension écrite à partir des articles trouvés dans les journaux gratuits. C’est de l’entraînement. On ne prétend pas les préparer à l’examen. On leur donne un peu de temps en plus pour ça. 

Gaëlle : Les exercices de théâtre les aide à gérer la situation d’examen, parce que quand on est adulte et que l’on passe un examen, ce n’est pas comme quand on est adolescent et que ça fait parti du jeu. C’est leur donner des armes pour faire face à un examinateur qui doit à la fin évaluer leur niveau, ce qui aura une influence sur leur accès aux papiers. Quand ça fait 10 ans que tu attends ce moment, le stress c’est quelque chose d’important. On essaie de leur apprendre à le gérer grâce aux outils du théâtre. On veut les aider à apprivoiser le trac pour qu’ils ne viennent pas les induire dans des erreurs qui n’ont pas lieu d’être.

A quoi ressemble un atelier type avec les grands débutants ?

Gaëlle : Je dirais qu’avec les grands débutants la méthode que l’on met bien en avant c’est la mémorisation par le corps.  Je vais en arrière, on fait un pas en arrière, etc. On y va doucement, car ils ont du mal à faire des phrases. Avec tous les groupes, on a des spectacles et on s’adapte en fonction du niveau. Avec les débutants, on va être beaucoup sur le portrait pour pouvoir parler des autres et de soi. On travaille beaucoup avec le théâtre d’objet. Avec les intermédiaires, on va essayer d’aller plus loin en parlant des sensations et du rapport avec les autres. Avec tous les niveaux, on va travailler sur des situations du quotidien. Par rapport à la transmission, on aime beaucoup avoir leurs témoignages. Selon le thème que l’on aborde, on aime qu’ils nous partagent leur vécu. 

Caroline : Pour donner un exemple concret, on avait fait le jeu « Les mots qui sont importants pour moi » et Julie a dit : « le mot le plus important pour moi c’est “confident”. Pourquoi ? Parce que mon confident, c’est mon fils et du coup on a un rapport particulier. »

Gaëlle : Ce qui est important, c’est que l’on va créer un lien avec la langue française. Un lien sensible et affectif. J’ai plein de liens avec ma langue et il y a plein d’autres langues où je n’en ai pas, car je n’ai pas d’expériences vécues dans ces langues. Je me dis que pour les apprenants c’est pareil. Quand ils débarquent en France, ils n’ont pas encore de liens avec la langue, il faut les aider à créer ces liens affectifs qui aident à apprendre.

Sarah : On touche à l’intime. C’est aussi valoriser l’individu. Ils arrivent dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Ils sont en difficulté financière ou professionnelle, mais leur valeur humaine, elle est intacte et elle a une grande valeur. Donc, à partir du moment où on les laisse s’exprimer sur ce qu’ils sont et sur ce qui les anime, c’est aussi un bon moyen de les faire entrer dans un pays, dans une langue et de se l’approprier intimement. 

Gaëlle : L’autre chose intéressante, c’est la rencontre des cultures dans les ateliers. On a parfois des discussions, qui sont importantes par rapport aux valeurs de la République. L’échange des cultures est super. Des fois dans les blocages ou dans les ouvertures, on apprend.

Ecrivez-vous des textes avec les groupes ?

Gaëlle : Soit on prend des textes écrits, soit on écrit des textes à partir de leurs mots. On prend leurs mots quand ils sont en train d’improviser. Il ne faut pas que les textes soient trop littéraires.

Sarah : On peut aussi les interviewer. Par exemple sur « Les fêtes qui ont marqué leur existence », une personne m’a parlé de son mariage. J’ai pris des notes, puis avec la personne je remets les choses en ordre par rapport à ce qu’elle m’a dit. On le fait tout de suite avec eux, pour ne pas que ce soit nous ensuite, qui brodions par rapport à ce que l’on pense avoir compris. On construit vraiment avec eux et il y a toujours un aspect témoignage.

Quelles sont les difficultés rencontrées pour faire ce type d’ateliers ?

Gaëlle : Ca dépend des groupes. Là, les élèves sont motivés donc ça va. Je reçois même des lettres de patrons qui s’excusent de ne pas pouvoir libérer la personne pour les spectacles, car ils sont en sous effectif. 

Sarah : Un des problèmes peut être l’assiduité. D’un cours à l’autre, on ne sait pas si la personne va revenir. A Paris plus qu’en banlieue. Dans notre groupe à Paris, ils sont plus nombreux et ils viennent de partout. 

Caroline : On a aussi un noyau qui fonctionne à Noisiel. Ca a fédéré. Ils se rendent compte que si une personne n’est pas là, on ne travaille pas de la même manière. Ils sont solidaires.

Gaëlle : Les financements et les calendriers budgétaires sont aussi une difficulté à certain moment de l’année, quand on attend patiemment les réponses des appels à projet.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui voudraient utiliser le théâtre dans leurs ateliers de français ?

Caroline :  Suivre une petite formation. Suivre un atelier de théâtre pour connaître les exercices. 

Gaëlle : Il y a l’école du samovar ou la maison des pratiques amateurs. C'est un bon niveau, il y a de tout et c’est accessible. 

Il faut construire avec les gens et être bien conscient que mettre les gens sur scène c’est un acte fort. Il faut être prudent, faire attention aux gens que l’on a en face de soi. 


Les événements à venir de la Compagnie Gazelle : 

Les ateliers courants

Mercredi 13 mai 2020 à Strasbourd - Espace Ziegelwasser, 5 rue bergerac, 67100 Strasbourg - Représentation théâtrale de la "Belle endormie" suivie d'un atelier avec les familles.

Début juin 2020 à Strasbourg - Espace Ziegelwasser, 5 rue bergerac, 67100 Strasbourg - Stage de formation.

Vendredi 19 juin 2020 à Noisiel - Spectacle autour de la langue et des mots à la Ferme du Buisson, Allée de la ferme, 77186 Noisiel.

Fin aout 2020 à Marseille - Théâtre de l’œuvre - 1 rue Mission de France, 13001 Marseille - Stage de formation

Octobre 2020 - Spectacle prévu à Strasbourg